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Le mystère Anastasia

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Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, la famille impériale de Russie est tragiquement assassinée dans la villa Ipatiev à Iekaterinbourg. Le tsar Nicolas II, sa femme Alexandra, leurs enfants ainsi que leurs domestiques vont périr sous les balles des bolchéviques sur l’ordre de Lénine. Presque cent ans après, une énigme demeure : Anastasia, l’une des filles de l’empereur, a-t-elle survécu au massacre ?

 

 

Mercredi 17 juillet 1918. Il est environ deux heures du matin lorsque le commandant en chef de la villa Ipatiev, Iakov Iourovski, réveille le docteur Botkine. Le médecin du tsar reçoit l’ordre de prévenir la famille impériale qu’une révolte gronde en ville et qu’ils doivent rapidement partir car leur sécurité est menacée. Après quarante minutes de préparation, les Romanov descendent l’escalier qui mène au rez-de-chaussée de la maison. Iourovski ouvre la marche, suivi par Nicolas II et son fils Alexis qu’il porte dans ses bras - le tsarévitch ne pouvant plus marcher à cause d’une crise d’hémophilie - l’impératrice Alexandra, ses quatre filles Olga, Tatiana, Maria, Anastasia, le docteur Botkine et les trois domestiques de la famille. Les détenus traversent la cour, puis sont guidés dans un long couloir et arrivent enfin dans une pièce sombre de vingt-quatre mètres carrés.

À l’extérieur de la maison, un camion attend le moteur allumé. Iourovski accompagné par douze gardes se présente devant la famille impériale. Le commandant sort de sa veste une feuille et lit à haute voix : « Vos proches ont tenté de vous sauver mais n’ont pas réussi. Nous devons vous fusiller ». Le tsar a tout juste le temps de répondre « Comment ? », puis de se tourner vers son fils avant d’être abattu à bout portant. Alexandra est touchée en plein cœur. Olga et Tatiana échangent un regard, font leur signe de croix et s’effondrent à leur tour. Maria est morte dès les premiers coups de feu, tout comme le docteur Botkine et les domestiques. Lorsque la fumée se dissipe, les soldats découvrent les deux plus jeunes enfants encore vivants. Iourovski tue sans ménagement le tsarévitch, alors qu’Anastasia est achevée à coups de baïonnettes. Les corps sont transportés à une vingtaine de kilomètres d’Iekaterinbourg jusqu’à la mine des Quatre-Frères pour y être brûlés et enterrés. Trois heures auront suffi pour faire disparaître les héritiers d’une dynastie ayant régnée plus de trois siècles sur la Russie.

 

La mystérieuse Anna Anderson

 

Deux ans plus tard, dans les eaux glaciales d’un canal de Berlin, une jeune femme est sauvée in extremis d’une tentative de suicide. Lors de son internement dans un asile, la rescapée raconte avec force détails les derniers instants des Romanov et le transport des corps dans la forêt. Elle est persuadée d’être la grande-duchesse Anastasia Nikolaïevna de Russie. Cachée derrière le corps de Tatiana, elle aurait échappé aux balles des geôliers et aurait été sauvée par un soldat qui serait devenu son amant. Intrigués par cette révélation, des membres de la famille impériale se rendent à l’hôpital et défilent tour à tour. Une des cousines d’Anastasia et les enfants du docteur Botkine la reconnaissent. Mais la majorité des personnes présentes ne l’identifient pas, à commencer par deux des tantes de la grande-duchesse ainsi que Pierre Gilliard le précepteur suisse des enfants du tsar. La mère de Nicolas II, l’impératrice Maria Feodorovna, lui aurait dit : « Vous n’êtes pas la grande-duchesse Anastasia ». La sœur d’Alexandra, la princesse Irène de Prusse, ne reconnaît pas non plus l’usurpatrice qui ne parle pas le russe (sa langue maternelle), le français, ni l’anglais.

Finalement, après enquête, la jeune femme se nommerait Franziska Schanzkowska. Ouvrière d’origine polonaise, elle aurait été blessée par une explosion dans les années 1910, et aurait eu par la suite des troubles de la mémoire. Son récit comportait pourtant des détails troublants. Elle racontait par exemple que le frère de l’impératrice était venu en 1916 à Moscou pour une mission diplomatique. Seul un proche de la famille Romanov pouvait être au courant de cette visite. Morte en 1984 aux États-Unis, celle qui fut connue sous le nom d’Anna Anderson emporta son secret dans la tombe sur laquelle figure toujours le prénom d’Anastasia.

D’autres femmes ont affirmé être la fille de l’empereur au cours du XXe siècle. Eugenia Smith raconta dans son Autobiographie de son Altesse Impériale Anastasia Nikolaïevna de Russie, publiée en 1963, avoir été secourue après avoir repris conscience dans la cave de la villa Ipatiev. Elle voyagea ensuite en train accompagnée par deux hommes jusqu’en Serbie. Ce fut son dernier souvenir des événements. Eleonora Kruger, Natalya Bilikhodze et Nadezhda Vasilyeva furent également persuadées d’être la grande-duchesse, la plupart ayant pour unique objectif de mettre la main sur la fortune des Romanov.

Toutes ces révélations ont créé la confusion parmi les partisans de la famille impériale. Le rapport Iourovski* et les témoignages de l’époque s’accordent tous sur un point : la famille impériale et leurs domestiques ont été assassinés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, quelques doutes subsistant encore sur les horaires et les dernières paroles du tsar. Malgré tout, de nombreux historiens considèrent encore aujourd’hui que seul l’empereur a été exécuté et que le reste de la famille a pu s’échapper.

 

Des théories divergentes

 

Dans les années 1970, deux journalistes d’investigation britanniques, Tom Mangold et Anthony Summers, ont affirmé que les bolchéviques avaient organisé la fuite d’Alexandra et de ses filles vers la ville de Perm. Cette théorie, soutenue par l’historien français Marc Ferro, est fondée sur les déclarations en 1918 du commissaire bolchévique aux Affaires étrangères, Gueorgui Tchitcherine, à un diplomate en poste à l’ambassade d’Allemagne. Les grandes-duchesses auraient été contraintes de revêtir des uniformes de soldats de l’Armée rouge et leurs cheveux auraient été coupés. Conduites à la gare d’Iekaterinbourg, le train devait les emmener jusqu’à Perm où elles reçurent l’ordre de ne manifester aucun comportement suspect. À leur arrivée, elles auraient été transférées à la maison des douanes et retenues plus de deux mois. Les témoignages s’arrêtent à l’année 1919 lorsque la tsarine et ses filles furent déplacées une nouvelle fois dans la ville.

La suite des événements nous est connue grâce à un certain Alexis de Durazzo qui se fit passer en 1982 pour le petit-fils de Maria. Il affirmait que la grande-duchesse avait été retenue prisonnière quelques semaines avec ses sœurs avant d’être séparée d’elles et de partir en Roumanie. Elle aurait survécu plus de cinquante ans sous le nom de Cécile Czapska.

 

Des tests ADN dévoilent enfin la vérité

 

En 1991, plus de soixante-dix ans après l’assassinat, des recherches sont organisées dans la forêt de Koptiaki afin de retrouver les corps de la famille impériale. Des ossements sont exhumés à l’endroit indiqué par Iourovski dans son rapport. Les archéologues relèvent des mâchoires, des fémurs et des morceaux de crânes en mauvais état, et comptent en tout neuf corps (cinq femmes et quatre hommes). Les deux corps restant auraient été enterrés ailleurs selon Iourovski.

Pendant sept ans, les ossements ont été analysés sous tous les angles. Grâce à des analyses ADN poussées, les scientifiques sont formels, deux des squelettes découverts appartiennent à Nicolas et Alexandra. Quelques années plus tard, les experts affirment avoir également déterré les corps du docteur Botkine, des trois domestiques, d’Olga, Tatiana et… Anastasia.

Le 29 juillet 2007, des fragments d’os sont retrouvés près de la fosse commune où furent enterrés les Romanov. Ils auraient appartenu à un garçon d’environ quatorze ans et une jeune femme d’une vingtaine d’années. En janvier 2008, un communiqué annonce que les ossements sont ceux d’Alexis et Maria. Après quatre-vingt-dix ans de controverses et d’enquêtes, les mystères d’Anastasia et de la famille Romanov semblent définitivement clos.

 

 

Le rapport Iourovski

 

Iakov Iourovski fut le commandant de la maison Ipatiev où était retenu Nicolas II et sa famille. Il dirigea l’exécution et l’enterrement des Romanov en 1918 avant de fuir pour Perm. Après avoir travaillé quelque temps au Kremlin, il rédige en 1920 un rapport détaillant avec précision l’assassinat. Tombé dans l’oubli, ce compte-rendu fut révélé au grand public en 1989 par le journaliste et historien Edvard Radzinsky dans l’hebdomadaire russe Ogoniok. Corroboré par les témoignages des soldats qui ont exécuté les Romanov, il est encore à ce jour la version la plus proche des faits.

Article paru dans Point de vue Histoire n°33

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